jeudi 15 juillet 2010

Qui sont-ils ?



Au Mali, pays d'Afrique de l'Ouest qui semble progresser d'une manière relativement paisible vers la démocratie, le phénomène dit "des enfants des rues" vient à constituer un grave problème révélateur d'une crise sociale et morale qui accompagne la modernisation de la société. Tous les enfants vivant dans la rue ne sont pas en danger et la plupart d'entre eux (de même que les adultes sans logement), ont bien davantage besoin de mesures sociales et politiques que de soins.
Des situations de risque et de mise en danger sont trop fréquentes sur les trottoirs des mégapoles du Tiers-Monde, où la consommation de produits toxiques est très courante et très massive. Ceci expose aux accidents (chocs avec des véhicules:automobiles ou trains, ou encore brûlures contre des braseros et des petits chaudrons à ciel ouvert dans les rues sur lesquels est souvent cuit de la menue nourriture par des petits vendeurs: maïs, bouillie de mil, etc.).
Aussi, et même si c'est peu le cas à Bamako, à l'inverse de certaines mégapoles africaines dont Dakar, on ne saurait passer sous silence le fait que de nombreuses jeunes filles et certains garçons en errance sont des "proies" faciles pour les trafics prostitutionnels de mineurs, trafics qui ne concernent pas que le tourisme sexuel.

Aujourd'hui, les recensements concernant les enfants dits "en situation de nécessiter une protection spéciale" sont peu nombreux et ils demeurent peu fiables. Le rapport de la Direction Nationale de la Promotion de l'Enfant et de la Famille évalue, en octobre 2002, à près de 4400 enfants le nombre de garçons et de filles en situation de rupture familiale, vivant dans la rue, avec un taux élevé (près de 21%) d'enfants âgés de moins de onze ans.

Une typologie de ces enfants peut être proposée, même si la réalité est toujours plus complexe dans la mesure où une coalescence de plusieurs causes explique, pour certains enfants et adolescents, leur "carrière" dans les rues:
- Les "garibous", en phase d'emploi ou en fugue : Souvent se regroupant en petites bandes de 5 à 7 jeunes, ces enfants ont à la main une boîte de conserve vide (la plupart du temps une boîte de condiment à base de tomate, rouge et bien visible) et sont soit au grand marché central (dit Marché "soudanais") soit aux abords des grands carrefours et des passages qui relient les uns aux autres les divers quartiers de la ville. Il est dit de la plupart qu'ils mendient pour contraindre la passant au respect d'une des prescriptions rituelles de l'Islam (l'aumône). Cette réalité semble remonter à des modalités éducatives anciennes.
- Les enfants "trafiqués" : Apparue dès le printemps 2000; avec la mise à jour d'un trafic d'enfants maliens vers les plantations ivoiriennes, trafic aujourd'hui en forte diminution. Ces enfants et adolescents étaient exploités dans des conditions de maltraitance extrême; s'ils fuguaient et étaient repris, ils étaient alors cruellement battus, avec parfois des incisions sous la plante des pieds, en guise de représailles : le nombre de ces enfants était estimé à 15000 au début de l'année 2000.
- Les enfants réfugiés des pays en guerre : Elle concerne une petite quantité d'enfants et d'adolescents, mais qui ont des modes de présence et de présentation remarquables lorsqu'ils errent. Cette situation préoccupante est l'arrivée à Bamako d'adolescents, orphelins le plus souvent, réfugiés des guerres violentes que connurent deux pays de la sous-région : le Libéria et la Sierra-Léone. Il peut s'agir d'enfants étrangers anglophones, mais aussi de jeunes issus de familles maliennes ayant émigré, il y a de cela des années dans ces pays aujourd'hui en guerre. Ils sont, pour certains, arrivés au Mali et à Bamako, dans l'espoir de rencontrer un membre de leur famille, dont ils ont pu entendre parler mais que, bien entendu, ils ne connaissent pas et qu'ils rencontreront que dans trop rares cas. Ceux qui restent en dehors de toute attache familiale reconstituée sont en totale errance , et au mieux s'agglutinent-ils à des groupes d'enfants déjà constitués. Ces jeunes qui peuvent avoir entre neuf et seize ans furent, pour certains, des enfants soldats qui n'avaient d'autre choix que de se joindre à des bandes ou des groupuscules emmenés par des chefs de guerre plus ou moins déments. Eux-mêmes vivent des des confusions de temps et d'espace tout à fait sidérantes.
- Autres enfants : D'autres causes possibles : les mésententes familiales qui, en cas de remariage ou d'extension polygamique de la famille, génèrent des brouilles continues avec les nouvelles épouses du père, les actes de délinquance cumulatifs , les fugues "immotivées", etc. Le phénomène des "enfants des rues" ayant quitté leur famille ne se réduit pas au cas critique des familles déstructurées, puisque près des deux tiers des enfants en rupture proviennent de familles considérées comme "homogènes" et stables par les enquêteurs de la DNPEF (2002). Nombre d'enfants peuvent vivre tout à fait normalement dans la rue, ils sont certes dans la précarité, mais peu de maliens ne le sont pas, et ils sont "montés" à la ville avec leur famille, au sein de laquelle ils demeurent, vivant au-dehors et dormant dehors auprès de leur parents. Bon nombre de ces parents ne sont pas bien informés des dangers de la rue, de l'importance des rapports de force qui y prévaut, alors que leurs enfants peuvent apprécier ce nouveau milieu.

Extrait de " Enfants et adolescents en danger dans la rue à Bamako (Mali), questions cliniques et anthropologiques à partir d'une pratique" de Olivier Douville, psychologue clinicien, psychanalyste, maître de conférence en psychologie clinique, université de Paris-10 Nanterre, Directeur de publication de Psychologie Clinique.

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